La nomination des Guadeloupéens après l’abolition de l’esclavage

Nous avons retrouvé près de 30.000 patronymes qui ont été donnés à plus de 80.000 Guadeloupéens à partir de 1848. Ils étaient tous esclaves et venaient d’être affranchis par le décret d’abolition de l’esclavage proclamé le 27 avril 1848 par le gouvernement provisoire de la 2e République française.

Tous ces noms de famille sont consignés dans les « registres des nouveaux libres » qui ont été établis après le décret d’abolition de l’esclavage, d’août 1848 à décembre 1862.

Nous y avons découvert une variété de noms d’origines diverses :

- des noms de fruits, d’arbres ou de fleurs tels que COCO, MANGO, SAPOTILLE, PALMIER, PALMISTE, ROSIER, POMMIER, BELLEROSE, ROSE, TULIPPE ;
- des noms de personnages bibliques, historiques ou mythologiques, comme SEDECIAS, SCIPION, CESAR, ZOROBABEL, CYPRIEN, CHERDIEU, REMUS, CONVERTY, MIRACULEUX, VENUS ;
- des noms de lieux géographiques, BOSTON, CALABRE, DAHOMEY, GABON, CARACAS ;
- des noms de métiers ou d’outils : RABOTEUR, TAILLEPIERRE, GRAVA, LANCLUME, MARTEAU, PIOCHE, ARCADE, FRONTON ;
- des noms d’animaux comme AIGLE, LAPIN, PIGEON, PIGEONNEAU, ZEBRE ;
- des noms plus fantaisistes comme ARLEQUIN, BOUBOUNE, NEBOUCHON, PASSAVE ;
- des noms ayant trait au physique comme CAPRESSE, CHABIN, GROS, PASBEAU, NEGRIT, LESUPERBE ;
- des noms plus vulgaires, voire dégradants, qui heureusement ont aujourd’hui disparu, comme CLITORIS, COQUERA, COQUERAPAS à Saint Louis de Marie-Galante ou VIEILLISSIME aux Abymes ;
- des noms d’origine africaine tels BOURRIQUIS, IBO, MOCO, OKEBIBOUE?; 
- des noms anagrammes : CIREDERF (Frédéric), EREPMOC (Compère), ETILAGE (Égalité), DOUARED (Édouard), DECILAP (Placide), NIMAJIMBE (Benjamin), PHEJOS (Joseph), RILCY (Cyril), etc.
- enfin, de nombreux noms patronymiques étaient composés à partir d’un prénom ou tout simplement étaient tirés du calendrier grégorien ou d’un dictionnaire.

Cependant, nous avons aussi retrouvés des cas où il n’y pas eu d’attribution de patronymes. Ainsi, dans un registre de Petit-Canal, 160 « nouveaux libres », pourtant bien répertoriés, par leurs prénoms, voire leurs surnoms, leurs matricules et même par l’habitation où ils étaient esclaves, n’ont pas reçu de noms patronymiques.

Nous avons noté la présence de patronymes identiques dans plusieurs communes mais également sur diverses habitations d’une même commune. Cette homonymie n’indique cependant aucun lien de parenté entre les individus. Ainsi, le patronyme COLMAR est retrouvé aux Abymes, à Capesterre Belle Eau, à Capesterre de Marie Galante, à Grand Bourg, à Petit Canal et à Pointe-à-Pitre. Le patronyme POPOTE est présent dans les communes de Capesterre Belle Eau, de Port-Louis et également au Gosier, mais sur des habitations différentes, de Port Blanc, de la Veuve TITECA BEAUPORT et de Couppé de K/Vennou.

Une grande majorité de ces noms patronymiques attribués après 1848 existe encore aujourd’hui en Guadeloupe. Ce sont les noms de famille de la majorité des Guadeloupéens.
Comment s’est faite cette nomination ? Comment des noms aussi divers et variés ont-ils été attribués ?

87.752 GUADELOUPEENS REÇOIVENT DES NOMS DE FAMILLE APRÈS L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE

Le 25 février 1848, après trois jours de révolution parisienne, la deuxième République française est proclamée. Un gouvernement provisoire est nommé et prend des décisions historiques telles l’établissement du suffrage universel.

Le 4 mars 1848, François Arago, ministre de la marine et des colonies du gouvernement provisoire, nomme Victor Schœlcher sous secrétaire d’État à la marine et lui demande de constituer et de présider la commission qui préparera les conditions d’une abolition immédiate de l’esclavage1.

Le 27 avril 1848, le gouvernement provisoire de la 2e République promulgue le décret de l’abolition de l’esclavage dont l’article 1er stipule que « l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles ».

Le 8 mai 1848, conformément au décret du 4 mars 1848, Adolphe Ambroise Alexandre Gatine, membre de la commission d’abolition de l’esclavage, avocat de profession, nommé commissaire général, embarque à bord de la frégate à vapeur « le Chaptal » en emmenant avec lui la déclaration d’abolition de l’esclavage. Il arrive à Basse-Terre le 5 juin 1848 2. L’esclavage avait déjà été aboli à la Guadeloupe par le gouverneur Layrle. En effet, suite à une puissante révolte des esclaves martiniquais le 22 mai à Saint-Pierre, le gouverneur Rostoland se voyait contraint de proclamer l’abolition de l’esclavage le 23 mai à la Martinique. Devant l’agitation grandissante des esclaves guadeloupéens, le gouverneur Layrle proclamait lui aussi l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe, le 27 mai.

Parmi les nombreux problèmes que Gatine avait à régler à son arrivée en Guadeloupe, il y avait celui de la nomination de la majorité de la population des colonies alors en esclavage. En effet, si les personnes libres (blancs et affranchis) avaient un nom patronymique, les esclaves n’avaient qu’un prénom souvent accompagné d’un surnom, et à partir de 1839, un numéro de matricule communal. En d’autres termes, ils n’avaient pas de noms de famille et n’étaient pas inscrits sur les registres d’état civil. En Guadeloupe, cette situation concernait 87.752 personnes sur une population totale de 129.109 habitants 3. Le reste de la population composée de 41.357 libres, dont environ 10.000 blancs, avait quant à elle un nom de famille et apparaissait sur les registres d’État civil. La nomination de ces 87.752 Guadeloupéens se fit sur la base de ces prénoms, surnoms et matricules, leur seule identité avant 1848.

DES PRÉNOMS ET SURNOMS COMME IDENTITÉ AU TEMPS DE L’ESCLAVAGE

L’Africain déporté avait souvent, à son arrivée dans les colonies, deux « noms » : son « nom originel africain » et celui que lui avait donné le capitaine ou l’équipage avant ou pendant la traversée. Mais le maître, à l’achat des captifs, pouvait aussi tout à fait décider de lui donner un autre nom de son choix. Les négriers français utilisaient de préférence, semble-t-il, des prénoms masculins comme Jolicœur, Léveillé, Sans Souci, La Douceur, etc… Pour les femmes, des diminutifs de noms de saintes comme Zabeth, Toinette étaient très usités.4 5

Par la suite, sur les plantations de la colonie, au bout de quelques jours, apparaissait un « surnom » ou un « sobriquet » venant s’ajouter ou se substituer aux autres noms. Celui-ci faisait référence à un caractère physique (Longs-bras, par exemple), à l’origine ethnique (Mina, Fantin, Moco, Ibo, Bourriqui), à un jour de la semaine ou à un mois de l’année (Vendredi, Mars, Avril…). Puis, au fur et à mesure, et surtout à la première génération d’esclaves créoles (ceux nés dans la colonie), furent attribués, comme prénoms, des noms de baptême (obligation était faite aux maîtres de faire baptiser leurs esclaves 6) correspondant à des noms de saints ou des noms liés à l’histoire, la mythologie, la culture et ce, au gré de l’humeur ou de la fantaisie des maîtres (Abel, Apollon, César, Socrate, etc.). Furent attribués également beaucoup de prénoms à la mode en France à la même époque. Cependant des noms d’origine africaine demeurèrent rappelant ainsi une ethnie, un lieu de traite, un nom ou un surnom d’origine. Ceux-ci pouvaient être adossés au prénom officiel avec la mention
« dit untel », par exemple « Georges dit Bourriqui », ou « Négresse dite Moco ». L’abondance des surnoms, sobriquets et diminutifs permettait sur une même habitation, d’identifier les esclaves aux prénoms identiques notamment après les achats et ventes d’esclaves.

Ces « dénominations » n’étaient pas des noms de famille car ils ne se transmettaient pas à la descendance. Les esclaves n’existaient pas dans le monde des Hommes. Ils n’étaient en général, pas inscrits sur les registres paroissiaux qui faisaient à l’époque office d’état civil et répertoriaient les naissances, baptêmes, mariages et décès.

Ces prénoms sont devenus avec le temps les « noms officiels » ou « nom de savane » (non savann) sur les habitations. Ce sont eux que l’on retrouve sur les listes d’esclaves des actes notariés (minutes de notaire) ayant trait aux ventes ou aux successions et dans les différents recensements (dénombrements) d’esclaves qui ont pu être effectués.

L’ÉTABLISSEMENT DES REGISTRES MATRICULES (L’ORDONNANCE DU 11 JUIN 1839)

Dès les années 1830, il était acquis dans les milieux politiques européens que l’esclavage colonial devait être aboli. C’est Alexis de Tocqueville qui disait en 1839 «  Il ne s’agit point de savoir si l’esclavage est mauvais et s’il doit finir, mais quand et comment il convient qu’il cesse », car disait-il « La France, Messieurs, ne veut pas détruire l’esclavage pour avoir la douleur de voir les blancs ruinés quitter le sol des colonies, et les noirs retomber dans la barbarie. Elle n’entend pas seulement donner la liberté à des hommes qui en sont privés, mais constituer des sociétés civilisées, industrieuses et paisibles 7 ». C’est d’ailleurs la première puissance capitaliste de l’époque, l’Angleterre, qui abolit la première l’esclavage en 1833, 15 ans avant la France.

De nombreuses tentatives furent alors entreprises dans les colonies françaises pour
« humaniser l’esclavage » et préparer son abolition. L’une d’entre elles fut de recenser les esclaves non pas par habitation (c’est-à-dire comme propriété d’un maître), mais par commune. Ce fut l’objet de l’ordonnance du 11 juin 1839 qui donna lieu à la création des « registres matricules ».

Cette ordonnance obligea les propriétaires d’esclaves à déclarer tous leurs esclaves à la mairie en leur donnant des numéros ou des surnoms pour les différencier en cas d’homonymie. Nous avons retrouvé de nombreux exemples de ce type à Petit Canal notamment, comme Christophe N° 2, Édouard N° 1, Louisianne N° 2, Anne Louise N°1, Constance dite Petite Sœur, Bonnaire dite Antoinette, Adeline dite Zo, Benjamin dit Cétoute, Hermine dite Céleste, etc. Un matricule communal fut attribué à chaque Guadeloupéen esclave. La plupart de ces registres « matricules » ont aujourd’hui disparu, soit de façon accidentelle, soit du fait des intempéries ou encore de façon volontaire afin d’éliminer toute trace du crime.
Voici quelques extraits de cette ordonnance promulguée le 11 juin 1839 « sur les recensements dans les colonies ».

Dans ces trois principaux chapitres, il était indiqué :

« Chapitre I, recensement général
[…]
Article 2. Chaque propriétaire se munira de trois feuillets imprimés gratuits sur lesquels il inscrira « ses noms et prénoms, le lieu et la date de sa naissance, sa profession et s’il y a lieu la classe de sa patente ; le nombre, les noms, le sexe et l’âge des personnes composant sa famille […] ; les noms de ses esclaves, leur sexe, leur âge et les signes particuliers propres à constater leur identité ; […] il fera connaître les esclaves unis en mariage. Les noirs qui porteraient le même nom devront être distingués par des numéros ou par un surnom. »
[…]
Article 6. « Dans le mois qui suivra la clôture du recensement général, il sera formé à la mairie de chaque commune un registre contenant la matricule individuelle de tous les esclaves recensés dans la commune. » Elle énoncera le nom et les prénoms du maître et toutes les indications sur l’esclave prévues dans l’article 2.
Article 7. « Les recensements qui auront servi à l’établissement des registres matricules seront conservés aux archives de chaque commune. »
[…]
Article 11. Quand il y aura un changement de commune de l’esclave, il y aura un nouveau recensement du maître et l’inscription de l’esclave sur le registre matricule de la nouvelle commune.
Chapitre II, recensements annuels : ils doivent mentionner les naissances, décès, mutations des esclaves depuis le recensement précédent.
Chapitre III, Naissances, mariages, décès des esclaves : tout maître doit déclarer ceux-ci à la mairie qui tiendra un registre des esclaves en deux exemplaires, un gardé en mairie et l’autre déposé au greffe. »
A la suite de ce recensement, chaque Guadeloupéen esclave eut comme identité, un prénom, parfois un surnom et un matricule communal qui serviront de base lors de l’attribution des patronymes après l’abolition de l’esclavage.

DES NOMS PATRONYMIQUES APRÈS L’ABOLITION : LES REGISTRES DES NOUVEAUX LIBRES

La commission Schœlcher qui avait en charge de préparer l’abolition de l’esclavage avait décidé de nommer les anciens esclaves « avec un système de noms variés à l’infini, par interversion des lettres de mots pris au hasard 8 ». Les Guadeloupéens, à l’instar des Martiniquais, Guyanais et Réunionnais esclaves avant 1848 ne reçurent donc pas, comme on l’entend encore trop souvent, les noms de leurs maîtres comme ce fut le cas aux Etats-Unis d’Amérique.

Le 7 mai 1848, une circulaire ministérielle fut adressée par François ARAGO, ministre de la Marine et des Colonies, aux Commissaires généraux de la République de Martinique, Guadeloupe, Réunion et Guyane. Intitulée « Instructions pour l’exécution du décret du 27 avril. Elle stipulait : « Il sera indispensable de faire procéder par les officiers d’état civil à un enregistrement général de la population émancipée, en prenant pour point de départ les registres matricules actuellement existants et en conférant des noms aux individus et aux familles comme on l’a fait jusqu’à ce jour dans le système de l’affranchissement partiel, conformément à une ordonnance du 29 avril 1836 9. Cette opération devra avoir lieu dans les deux mois […] et, pour la faciliter, vous adjoindrez temporairement aux mairies les écrivains dont les officiers de l’État civil auraient besoin. »

Le 27 juin 1848, conformément à cette directive ministérielle, le Conseil Privé de la Guadeloupe définit les modalités de l’organisation de l’État civil des nouveaux libres. Il sera procédé en même temps à l’établissement des listes électorales et des registres d’état civil des nouveaux libres.

Les articles 2 et 3 de l’arrêté du 27 juin 1848 stipulaient :
« Article 2 : À la diligence des maires et sous la surveillance des officiers du Ministère public, les nouveaux libres seront inscrits en la forme ordinaire et sur les registres ordinaires de l’état civil. L’inscription contiendra les prénoms ou surnoms des nouveaux libres, le nom patronymique qui leur sera donné, le lieu et autant que possible la date de leur naissance ou en tout cas, leur âge présumé, le lieu de leur résidence avant l’émancipation et celui de leur domicile ou résidence actuels. Les noms de leur père et mère seront aussi mentionnés, s’il se peut.
Article 3 : Dans le cas où un des nouveaux libres se déclarerait père ou mère d’un ou de plusieurs enfants, invitation lui sera faite de les reconnaître. S’il y consent, la reconnaissance sera faite dans l’acte même contenant inscription du père ou de la mère sur le registre. En ce cas, le même nom patronymique sera donné aux enfants. Une inscription rappelant la reconnaissance sera faite en outre pour chacun d’eux. »
L’inscription se faisait toujours sur le même mode. Ainsi dans le registre des nouveaux libres de la commune de Port Louis, nous pouvons citer l’exemple du nouveau libre Blaise et de sa famille (actes numéro 915 à 919) :
« N° 915. Blaise âgé de cinquante et un ans, né et demeurant sur l’habitation Beutier, inscrit sous le n° 98, qui a reçu le nom patronymique de Colin.
N° 916. Petite Maman âgée de trente-cinq ans, inscrit sous le n° 3370, née et demeurant sur l’habitation Boisaubin, qui a reçu le nom patronymique de Colinette
N° 917. Toussine, âgée de quatorze ans, inscrite sous le n° 3516.
N° 918. Souffrance, âgée de onze ans, inscrite sous le n° 3526.
N° 919. Bernardine, âgée de sept ans, inscrite sous le n° 4170
Les sus dits Blaise Colin et Petite Maman Colinette nous ont déclaré reconnaître pour leurs enfants les dits Toussine, Souffrance et Bernardine qui ont reçu le même nom patronymique que leur père Colin ».

Ainsi pour chaque individu, le nom usuel, l’âge approximatif, l’habitation de naissance ou de résidence, le numéro d’inscription au registre matricule, et le nom patronymique octroyé sont indiqués. On notera au passage, les noms patronymiques donnés au père (COLIN) et à la mère (COLINETTE) par l’officier d’état civil, le sieur SAINTE MARIE Antonin fils, adjoint au maire de Port Louis. De plus force est de constater que, tout en appartenant à des habitations différentes (Beutier et Bois Aubin), la famille se fait déclarer le même jour, le 05 janvier 1849 (les numéros d’actes de 915 à 919 se suivent sur le registre) avec les enfants qu’ils reconnaissent. Petite Maman COLINETTE épousera Blaise COLIN le 31 mai 1849 et gardera son nom patronymique COLINETTE jusqu’à sa mort.

Dans toutes les communes de la Guadeloupe, des milliers d’individus ont été ainsi nommés. Cette entreprise s’est étalée sur 14 années, d’août 1848 (aux Abymes) à décembre 1862 (à Sainte Rose) au lieu des deux mois imaginés par la commission Schœlcher. Était-ce dû à une mauvaise organisation, à une mauvaise évaluation de l’importance du travail à accomplir, à la réticence d’une partie de la population à se faire nommer (en particulier lesmarrons) ? Difficile de conclure.

Quoi qu’il en soit, en déchiffrant ces registres des nouveaux libres, nous avons « rencontré» ces officiers d’état civil chargés de la nomination, nommant directement sur les habitations des centaines de personnes. Nous les avons également « vus » nommer des femmes avec leurs enfants sur les bras, des hommes, des jeunes et des vieillards faisant la queue devant la mairie.

Certaines fois, nous avons « surpris » ces officiers d’État civil de mauvaise humeur ou se vengeant sur des esclaves en leur attribuant des quolibets comme noms patronymiques. Ce fut le cas de monsieur Jean-Baptiste Zénon, deuxième adjoint du maire de la commune des Abymes, qui le mardi 17 octobre 1848, attribua successivement les noms de Chétif, Laisséboulé, Sansculotte, Zody, Vapeur et Terrible à 6 anciens esclaves de l’habitation du citoyen Pautrizel. Peut-être était-il fatigué à la fin de la journée après avoir nommé 47 personnes ? De tels noms fantaisistes, méprisants ont été attribués çà et là, mais finalement de façon assez peu fréquente en proportion. Dans certains cas, des officiers d’État civil acceptèrent d’attribuer aux nouveaux libres nés en Afrique leur nom d’origine. Ce fut le cas pour Koaly, cultivateur né en Afrique, âgé de 42 ans environ en 1848, matricule 646 dans la commune des Abymes. En effet, le lundi 2 octobre 1848 en se présentant devant l’officier d’État civil chargé de le nommer, il demanda à garder comme nom patronymique KOALY et prit comme prénom Louis. Mais dans l’immense majorité des cas, ce furent les officiers d’état civil qui décidèrent de façon souveraine et arbitraire de l’attribution des patronymes.

Telle fut la façon dont la majorité d’entre nous Guadeloupéens avons été nommés.

 

 

Références

1. Le 4 mars 1848, le Gouvernement provisoire de la République, « considérant que nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves, décrète : qu’une commission est instituée auprès du ministre provisoire de la marine et des colonies pour préparer, dans le plus bref délai, l’acte d’émancipation immédiate dans toutes les colonies de la République ». Victor Schœlcher fut nommé sous secrétaire d’État le 5 mars, exerça cette fonction jusqu’au 17 mai 1848. Il présida la commission chargée de préparer l’abolition de l’esclavage du 5 mars au 21 juillet 1848.
2.  Conformément au décret du 27 avril, l’esclavage aurait du être aboli en Guadeloupe, deux mois après l’arrivée de Gatine, soit  le 5 août 1848.
3. R. Boutin, La population de la Guadeloupe. De l’émancipation à l’assimilation (1848-1946), Ibis rouge édition, 2006.
4. Gabriel DEBIEN,  Les esclaves aux Antilles françaises (XVIIe et XVIIIe siècles). Basse-Terre et Fort-de-France, Société d’histoire de la Guadeloupe et Société d’histoire de la Martinique, 1974.
5. Frédéric REGENT, Esclavage, métissage, liberté. La Révolution française en Guadeloupe (1789 – 1802). Editions Grasset. 2004.
6. Le Code noir : «  Article 2 : Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneur et intendant desdites îles, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable. »
7.  Alexis de Tocqueville. Rapport fait au nom de la commission « chargée d’examiner la Proposition de M. de Tracy, relatives aux esclaves des colonies » (n°201). Chambre des députés. Séance du 23 juillet 1839.
8.  « Abolition de l’esclavage ». Rapports et projets de décrets de la commission instituée pour préparer l’acte d’abolition immédiate de l’esclavage. Paris, imprimerie nationale. 1848.
9. L’ordonnance du 29 avril 1936 : « Sous le rapport des formalités destinées à pourvoir légalement de noms et prénoms les individus qui seront appelés à la liberté :
Article 1. … dans les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane française et de Bourbon, les déclarations d’affranchissements énonceront, outre le sexe, les noms usuels, la caste, l’âge et la profession de l’esclave, les noms patronymiques et les prénoms qui devront lui être donnés. […]
Article 3. L’acte d’affranchissement sera transcrit sur les registres de la commune où l’esclave était recensé, en présence de deux témoins désignés par l’affranchi ou appelés d’office par l’officier de l’état civil.
Article 4. Aucune déclaration ne pourra contenir des noms patronymiques connus pour appartenir à une famille existante, à moins du consentement exprès et par écrit de tous les membres de cette famille.[…].
Article 6. Seront seuls reçus comme prénoms, sur les registres de l’état civil, les noms en usage dans le calendrier grégorien et ceux des personnages connus dans l’histoire ancienne. ».

anchoukaj affiliation ANCHOUKAJ (Affiliation)

En tapant votre nom de famille dans l'onglet ci-dessus, vous allez être mis en présence de noms, prénoms, matricules et autres renseignements concernant des personnes qui étaient esclaves en 1848 et qui, avant l'abolition de l'esclavage, n'avaient pour seule identité qu'un prénom et matricule.

 

La nomination des Martiniquais après l'abolition de l'esclavage.

Le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848 mit définitivement fin à l'application du Code noir et au statut d'esclave pour environ 67447 Martiniquais, soit environ 60% de la population de l'île. Il fallut alors attrubuer à toutes ces personnes des noms de famille, car esclaves, elles n'avaient pour seul attribut identitaire qu'un prénim, parfois un surnom ou un sobrique et à partir de 1839, un numéro ou matricule